Je te parle d’une île perdue sur l’Océan.
Une parcelle d’archipel qui s’en serait détachée
pour se promener au vent. On ne l’aperçoit jamais que flottant sous les averses
et, bien que souvent on la prenne à se chauffer aux arcs-en-ciel, elle
s’évapore après la pluie.
On la dit verte de forêts, on dit aussi que dans sa baie,
dauphins, tortues et baleines aiment à batifoler. On dit qu’elle est
remplie d'oiseaux, de beaux oiseaux de barbarie. Or chacun sait que ces oiseaux ne font
leurs nids que dans les bassins
d’aquarelles.
Manu l’a vue. Il en a même rapporté une histoire à
faire rêver.
Il péchait un beau matin, à l’extérieur de son
lagon, lorsque la houle se leva. De gros nuages, à l’horizon, s’amoncelaient et
puis la pluie s’est abattue, chaude et violente sur Manu.
Sur sa pirogue ballotée dans tous les sens, Manu
gardait les yeux rivés sur son lagon qui s’éloignait. Lorsqu’une île est
apparue, à quelques vagues de lui.
Bien qu’on lui ait souvent parlé de cette île qui voguait
entre les grands continents, Manu savait qu’aucun bateau, aucun pêcheur n’avait
pu la rattraper. Et lui, la voyait dériver, à peine à trois coups de pagaie,
jusqu’à ce que sa pirogue chavira sur le rivage…
La pluie continuait de tomber, trempant tout le
paysage. Une forêt de cocotiers venait déborder sur la plage et Manu s’y
engagea. Mais un tremblement soudain gronda dans les cocotiers!
Manu n’est pas seulement curieux, il est aussi très courageux. Il s’enfonça parmi les arbres alorsqu’un nouveau tremblement se
fit sentir plus fort qu’avant! Et plus le garçon avançait, plus le vacarme
ébranlait jusqu’aux troncs d'arbres, aux fougères, même la terre sous ses
pieds.
Le coeur transi par tous ces bruits, Manu gravit
le sentier parmi les pierres qui s’éboulaient,
jusqu’à ce qu’il fut arrêté par des rochers. Après eux, une clairière
ouvrait l’ombrelle des feuillages sur les vallées et puis la mer. Et devant lui
se pavanaient, des couples d’oiseaux magnifiques.
Etaient-ce là ces beaux oiseaux que l’on disait de
barbarie? Mais en y regardant mieux, Manu comprit qu’ils se battaient! L’un
contre l’autre, ils se jetaient et retombaient de tous côtés.
Lorsque l’un d’eux se déchirait, comme du papier
de soie, les autres continuaient, comme si leur vie en dépendait… Et chaque fois, ce grondement qui délogeait
tous les rochers!
C’était un torrent ventru, assourdissant et
feuillu, qui s’esclaffait sur les pierres!
“Encore! Encore!” tempêtait-il en se tortillant de
joie! Il écumait de plaisir et les oiseaux se bousculaient tant ils étaient
épouvantés…
Or, soudain, une éclaircie pointa son joli minois
juste au-dessus de la clairière. Plus d’un oiseau leva son bec, dressa ses
pattes pour voler, mais ses ailes aspergées par les ondées du torrent le
retenaient prisonnier…
Devant autant de malice, Manu du se dominer pour
ne pas bondir de rage. Mais s’il s’était aventuré à sauver les malheureux, le
monstre l’aurait noyé dans son antre-marécage...
Manu glissa dans les fourrés, cherchant comment le
contourner lorsqu’il perçut le va-et-vient d’une eau vive retenue contre son
grès dans les fougères..
Entre les pierres, à ses pieds, s’entrechoquaient
de gros œufs pâles et cabossés. Leur coquille était glacée tant leur couche
était trempée. Ça n’était pas moins qu’une cage où le torrent les retenait,
interdisant à la lumière d’y venir les réchauffer!
Ils étaient si rabougris, si meurtris, que
l’enfant, pris de pitié se mit à les libérer. Il déplaça quelques pierres et
les poussa dans le courant qui s’échappait de la clairière.
Alors, pour suivre le ruisseau, Manu bondit sur
les galets, déboula sur les rochers, dévala tous les sentiers, jusqu’à l’entrée
de la vallée.
Une rivière y lézardait derrière son rideau de
pluie et, au travers, en jaillissaient des serpentins de coloris.
C’était un bassin d’aquarelles, une fontaine d’arc-en-ciel.
Réchauffés, réconfortés, les œufs s’ouvrirent à
qui mieux mieux, laissant paraître à leurs coquilles des oisillons de barbarie.
Il y en avait partout, dessus, dessous et tout autour, gros et joufflus comme
des joujoux.
Ils s’envolèrent vers la clairière et se chargeant
des prisonniers, ils s’élevèrent comme des ballons.
Sur quoi le torrent, furieux, éclaboussa ciel et
terre! Voici que ses toupies
s’élançaient hors de la pluie! Qui donc osait délivrer tous ses jouets
préférés?!
Il se mit à fulminer, mobilisant sur la vallée
toutes les eaux qu’íl commandait: les eaux saumâtres des marais, les eaux
stagnantes des fourrés, les eaux dormantes qu’íl prenait toujours plaisir à
égarer!
A tout moment, l’île risquait de repartir sur
l’Océan et Manu serait perdu! Il s’élança vers la mer et, comme par
enchantement, se retrouva sur la plage où sa pirogue l’attendait.
Au même instant, ivre de rage, le torrent
tambourina sur le sommet des volcans mais Manu poussait déjà sa pirogue dans
les vagues. Il commençait de pagayer, lorsque l’île vacilla.
Puis disparut.
Le soleil s’était remis à vibrer sur le lagon où
l’arc-en-ciel trempait un pied.
Manu aurait pu rentrer. Oui, mais Manu attendait.
Il attendait les oiseaux.
Et, bientôt, ils s’échappèrent, de ce côté de
l’arc-en-ciel. C’était un flot de cerfs-volants!
Sylvie M. Miller
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