Manu et l'Ile aux Oiseaux

Te rappelles-tu Manu?

Celui qui a sauvé, de l’île vagabonde, des oiseaux qu’un torrent retenait prisonniers… Celui qui, depuis lors, est seul à reconnaître qui des cerf-volants est un jouet ou bien tout simplement un oiseau déguisé par un voyage en arc-en-ciel…

Pour le remercier de les avoir libérés, les oiseaux lui ont appris un savoir faire très recherché: celui d’Expert en cerf-volant.

Pour l’armature, ils lui ont dit l’endroit secrêt où pousse un bois des plus légers, ils lui ont montré la finesse du papier dont il faut monter les ailes, dévoilé combien l’armure doit porter de coloris, l’aquarelle utilisée par les éléments du ciel… et surtout les justes mots qui feront que les jouets voleront comme des oiseaux!

Quant à l’île vagabonde, Manu pensait que désormais elle n’était plus qu’une légende, que le torrent, privé de jouets, l’avait laissée se réchauffer tant qu’elle voulait. Mais un pêcheur bien connu pour ses longues virées en mer, raconta qu’elle ne prenait même plus le temps de s’arrêter! Il l’avait vue zig-zaguer comme une aiguille de couturière! Elle trébuchait dessus les vagues, s’éssoufflait à rattraper des éclaircies pour s’y sécher. A croire qu’elle était habitée par un démon qui n’appréciait que la pluie!

Manu, lui, savait bien de quel démon il s’agissait! Ainsi donc le torrent continuait de l’alourdir de ses marais! Pour quelle autre raison l’empêchait-il de se chauffer, sinon qu’il y gardait encore quelque vilain secrêt?

Manu passa des jours au large, préfèrant à la mer belle celle où la houle déchainée le soulevait sur l’horizon. Il suivit des embarcations dont il savait qu’elles baigneraient dans les moussons, il remonta des rivières dans des lagons inconnus, tentant d’y trouver le pied de l’arc-en-ciel qui se formait.

Et puis un jour il la trouva, enfouie dans son rideau de pluie. Elle ne ressemblait en rien à l’île qu’il avait quittée: elle croulait sous des feuillages gonflés d’eau, ses vallées étaient noyées, ses plages avaient disparu. A peine eut-il posé les pieds sur la grève rocailleuse qu’un ronflement familier émoustilla la forêt. Les cocotiers y avaient pris des dimensions élèphantesques!  Avec les pluies qui s’enchainaient, la boue giclait de tous côtés, des racines de fougères se tordaient à ciel ouvert! De la clairière il ne restait qu’un grand lit désordonné où le torrent se vautrait. On avait arraché des branches aux cocotiers, empilé plein de cailloux et dissimulé la vue sur la vallée.

Pas de doute, cela sentait l’humidité, les cages à jamais fermées. Manu chercha dans les buissons. Un oeuf y était enfoui sous un amas de lychen.

Mais alorsqu’il le touchait, on remua dans les fourrés. C’était un oiseau de Barbarie, le tout dernier qui soit resté avec ses ailes d’origine et ses grands yeux fatigués clignaient à la lumière du jour.

Avec les quelques sons appris auprès des oiseaux de son île, Manu le mit en confiance, puis glissant l’oeuf dans une feuille de fougère qu’il lia à sa ceinture il s’accroupit près de l’oiseau. Il ne s’agissait plus, cette fois, d’attendre un arc-en-ciel pour le libérer, non, il s’agissait de l’emporter et de courir à toutes jambes, sans s’égarer et sans glisser. Sa pirogue, heureusement,  les attendait sur le rivage.

Une fois rentré chez lui, Manu soigna le bel Oiseau. Quant à l’oeuf, il s’arrondit dès le lendemain matin puis se fêla vers midi. A la nuit, il en sortit un petit poussin tout blond. Un poussin des plus communs!

Turbulent comme tous ceux qu’on voit courir sur les chemins, il suivait Manu partout, même jusque sur les récifs où les crabes se bousculaient pour l’admirer.  Manu montait près de lui ses cerf-volants et lui confiait tous ses secrêts.

Le petit poussin grandit et un habit de lumière vint remplacer tout son duvet. Les plumes de sa queue jetaient leurs flammes sur le sol. En fait, il avait tout d’un coq mais des oiseaux de Barbarie, il n’avait pas même les ailes, si ça n’est qu’il s’envolait au moindre vent!  Manu ne pouvant reconnaître s’il s’agissait d’un cerf-volant ou d’un oiseau déguisé, opta pour le jouet et lui apprit à voler.

A cette époque, des concours de cerfs-volants s’organisaient dans la vallée, pour lesquels petits et grands s’entrainaient les jours fériés.

Mais, à la veille du grand jour, Manu ne put fermer l’oeil. Il  poussait de gros soupirs et  se tournait dans son lit.  A l’aube, il se laissa prendre par un songe qui le guettait: C’était au début de la course. Elle commençait, étrangement, au bout de l’île aux oiseaux, où pour une fois il faisait beau.

Des montagnes parvenaient le teintement joyeux de l’eau qui se jetait dans la vallée et dans le ciel, le coq de Manu se hissait au-dessus des autres comme un jouet de carnaval.

Mais les rêves, on le sait, montrent du doigt ce qu’éveillé, on ne voit pas:

Le coq, en réalité, fuyait devant les cerfs-volants qui voulaient le mettre en pièces!  Pour échapper à leurs morsures, il tirait, forçait l’allure si bien que le fil, surtendu, glissa des mains de Manu. Alors, livré aux quatre vents, le coq-volant virevolta et s’abîma dans le torrent… D’un coup,  toute la vallée retomba dans le silence.

Manu se réveilla en sueur, les yeux mouillés.

Son coq était déjà debout, au garde à vous et prêt à faire de lui le petit garçon le plus fier de la vallée! Fou de bonheur, Manu comprit la signification du rêve.

Et il prit part aux championnats, mais avec un vrai cerf-volant qu’il construisit à la sauvette et qui risquait de s’écraser sur un arbre ou un rocher.

Et pourtant, Manu gagna.

Je ne sais pas très bien comment car il avait depuis longtemps préféré son protégé à la fabrication des jouets. Mais, il raconte que le sien a traversé un serpentin qui musardait dans le soleil. Et lorsqu’il en est ressorti, ses gloussements étaient exquis, ses coloris de berlingots pareils à ceux du bel Oiseau que Manu avait guéri.

Et d’ailleurs, prête l’oreille…


Ça ne sont pas les bruissements de la forêt que tu entends, ni le pipeau des cours d’eau, mais simplement des cerfs-volants qui vocalisent dans le vent…


Sylvie M. Miller

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